Alejandro raconte sa destinée au Laos – le calme de la rivière – « Alec est fou » par Séanne
Alejandro est un vrai personnage. D’une famille uruguayenne un peu baroudeuse, ses pérégrinations l’ont un jour amené seul au Laos, dans cette petite bourgade perdue près de la ville de Kasi. C’était il y a une quinzaine d’années. Il est tout simplement tombé amoureux de la famille qui a bien voulu alors le prendre en stop. Aujourd’hui, il habite à côté de la maison familiale, et il gère avec eux une petite auberge rustique et sympathique.
Bien sûr, il repart de temps en temps dans son pays natal et en voyage ailleurs dans le monde pour quelques mois par-ci par-là. Mais c’est toujours pour mieux y revenir. Il aime l’accueil qui lui est toujours réservé à son retour. Sur le balcon de sa cabane sur pilotis, il regarde la rivière s’écouler doucement en contrebas. « On ne peut pas se tromper ici. Il suffit de peu de choses ! »
Alejandro est un vrai bout en train, toujours à plaisanter. Il parle fort, il interpelle, d’un rire un peu surjoué. Depuis qu’il s’est installé ici, tout le monde l’interroge régulièrement sur sa vie sentimentale. Quand va-t-il trouver une femme et se marier ? Depuis 15 ans, il répond en blaguant que c’est pour l’année prochaine. Cette fois, c’est vraiment pour l’année prochaine. Plus personne ne le croit. Il commence pourtant à penser à la dot, qui se calcule en buffles et en moto.
Alejandro respecte et embrasse la culture locale. Il a appris à parler laotien dès le début, en étant immergé dans la famille. En étant le seul étranger dans le coin, tout le monde le connaît ! Il avoue, lui, ne pas toujours reconnaître les gens… Il est invité de bon cœur à toutes les nombreuses célébrations et fêtes que donnent les voisins. Il se fond dans la masse en toute humilité. En retour, il aide comme il peut la communauté. Il blague avec Séanne, la jeune femme qui a osé, il y a 15 ans le prendre en stop. Ils s’amusent à se traiter mutuellement de fous en rigolant. « Alec pembaaaaa ! » Une vraie complicité. Ils se sont bien trouvés ces deux-là.
Alejandro a aussi dû apprendre à négocier avec la police locale. Ils ne comprenaient pas pourquoi un étranger voulait s’installer ici, et venaient toujours lui chercher des histoires et lui soudoyer de l’argent. Aujourd’hui, il est fier d’afficher sur sa cabane le drapeau laotien à côté du drapeau uruguayen. Il a dû batailler pour avoir le droit d’afficher son drapeau. « Seulement sur les bâtiments officiels » insistaient les policiers. Pour lui, ces deux drapeaux doivent tout simplement être affichés ensemble. Ils sont poétiquement complémentaires. La lune du drapeau laotien et le soleil du drapeau uruguayen se font face en même temps, de part et d’autre du globe. Les policiers n’ont pas vraiment été sensibles à sa vision imagée, mais à force, ils lui fichent la paix.
Alejandro reste uruguayen dans l’âme. Le matin, il sirote son maté au gingembre, chemise à l’effigie de son pays. Il aime faire l’animation auprès des étrangers de passage, en laotien, en anglais, en espagnol, en français… Il est l’attraction du petit-dèj.
En ce moment, Alejandro est pris dans un livre qui relate l’histoire vraie d’une équipe de rugby uruguayenne qui s’est crashée en avion dans les Andes en 1972. Lui qui pensait le rugby comme un sport de bruts, il a redécouvert un sport respectueux où les joueurs doivent être soudés comme les doigts de la main. Il est épaté de voir comment les rescapés s’en sont sortis. L’un d’entre eux, Roberto Canessa, est devenu un brillant cardiologue pédiatrique. Alejandro exalte ce survivant avec beaucoup d’admiration. Il l’a contacté il y a peu et prévoit de le rencontrer quand il sera de retour en Uruguay. Peut-être même pourra-t-il faire quelque chose pour la petite fille du village qui a un problème au cœur…